KALAKAR COLONY
C’est l’histoire d’un coup de coeur. Un coup de coeur pour une ville déjà, Jaisalmer, sublime, et puis pour une famille ! Et quelle belle manière que d’apprécier une ville à travers les yeux de ses habitants !
Comment ne pas avoir un coup de coeur pour Santosh ! J’ai d’abord envie de photographier ses yeux, et puis de m’asseoir avec elle alors qu'elle vend ses petits bijoux au fort, échanger quelques bribes de nos vies. Elle est drôle, elle me plait et j’ai envie d’accepter l’invitation à diner chez elle avec sa famille ! Coincidence, des gars de ma guest house prennent des cours de Ravanhatta (instrument joué dans le Rajasthan) chez le beau frère de Santosh. Je me joins donc à eux le soir pour trouver le quartier, bien gardé par les chiens qui me font un peu peur je dois dire… et oui selon les villes en Inde les chiens peuvent se montrer plus ou moins dissuasifs, et à Jaisalmer ils ont spécialement mauvais caractère ! Il faut dire qu’un mois plus tôt je me suis faite attaquer par un de ces salopards et je terminais à peine ma série d’injections contre la rage alors bien sûr j’étais pas prête à réitérer l’experience. Mais je m’éloigne du sujet, je voulais dire que j’ai accepté ce premier diner et que j’ai partagé tous les suivants durant 2 semaines avec cette famille, mais aussi le quotidien des habitants de ce mini village dans la ville. Le quartier s’appelle Kalakar Colony, et héberge des castes d’artistes dans des petites cases en terre : les Bhopa, caste de musiciens, les Bhatts, caste de marionnettistes, et Musulmans qui sont aussi musiciens (oui la religion semble toujours avoir son importance en Inde alors ils la mentionnent). Santosh et sa famille sont des Bhopa !
Les veuves chez les familles Musulmanes se drapent de rouge
Le village reçoit la visite de quelques curieux de temps à autres, qui viennent écouter un peu de musique ! Tout le monde en joue volontiers à l’intérieur de sa petite maison, monnayant un peu de nos roupies. J’ai mes familles préférées avec qui j’aime passer du temps ! Des Musulmans et des Hindous… c’est pas très bien vu dans le village que je ne choisisse pas mon camp on dirait, mais peu importe, ça leur passera !
Tous les hommes de la famille jouent d'un instrument depuis leur plus jeune âge
Le soir, pas d’infidélité, c’est avec la famille de Santosh que je partage le diner ! Je la récupère au fort, on s'entasse dans un rikshaw, on passe par le marché pour attraper de quoi nourrir la flopée et on rentre retrouver hommes et enfants ! Sermilla la grande soeur, Lakshmi et Bablu doux et discrets, Pinky la sauvage, Anna la drama queen et Rahul le petit dernier adorable ! Santosh cuisine avec Sermilla dans le petit brasero construit au sol. Pendant ce temps je pèle les patates, je fais des colliers aux enfants, je prends des photos. Tous les jours elle me promet que le plat ne sera pas épicé… mais à la couleur du curry je comprends bien que je vais encore manger avec une assiette de sucre à côté (technique expérimentée et approuvée permettant de tuer le feu du piment) ! Après le diner, ils insistent pour que je regarde un peu la télé avec eux… j’aime pas trop la télé mais j’aime témoigner de ces moments de vie ! La pièce à vivre est maintenant une chambre, les matelas sont sortis avec les couvertures, et tout le monde s’imbrique pour que 8 personnes tiennent dans 3 lits. Et quand il se fait tard, je rentre et Santosh fait un bout de chemin avec moi, le temps de traverser le barrière des chiens, cette racaille est encore plus agressive le soir et Santosh manie mieux le baton que moi.
Certains soirs nous dinons tous chez la soeur de Santosh, Shanti ! La maison est plus grande et nous pouvons diner à l’intérieur. Le mari de Shanti, Hari est un excellent musicien et les repas sont animés, grâce à la présence de ses élèves et aussi quelques oncles qui viennent battre le Dholak (percussion locale) et gratter la guimbarde ! En Inde, on nomme l’oncle paternel Kaka… j’en suis pas fière mais ça me fait beaucoup rire.
Dans ce huis clos nous avons partagé de beaux moments de rires, brisé quelques tabous pudiques, accompagné des familles endeuillées. J’allais bientôt quitter la ville et j’avais envie de partager une journée spéciale avec eux, peut-être leur offrir une journée hors de leurs scènes quotidiennes ! Je propose à Santosh l’idée de prendre un 4x4 et de passer l’après-midi dans le désert ! Elle adore, elle est partante et les enfants n’en parlons pas ! Les portes du désert sont à une poignée de kilomètres, et pourtant, pour la plupart des familles, il n’est pas question d’échapper à son quotidien pour s’offrir du loisir.
Je récupère la troupe le lendemain après-midi, des nouveaux soit disant membres de la famille s’ajoutent à la liste, mais quelle importance, on est en Inde et nous rentrerons tous dans le 4x4 peu importe notre nombre ! C’est jour de fête on dirait ! Tout le monde s’apprête, peigne ses cheveux avec beaucoup d’huile de coco, met ses habits les moins usés ! On s’entasse dans le 4x4 et chacun apprécie le trajet à sa manière.
C’était doux et insouciant ce moment dans le désert, avec comme terrain de jeu les dunes et comme victimes de nos niaiseries les petits scarabées trop lents pour échapper à nos pièges.
Santosh ne souhaite pas trop s’éloigner, et il ne faut pas rentrer tard. Il faut penser à préparer le diner et honorer les tâches qui lui incombent.
Je leur promets qu’à ma prochaine visite nous irons tous ensemble passer la nuit dans le désert, dans un camp !
J’espère que j’arriverai à tenir cet engagement !